Régulièrement les bad buzz et autres crises de communication liés à des campagnes publicitaires surprennent par leur évitabilité. Des professionnels du marketing aux journalistes en passant par les activistes, plusieurs se demandent « comment ont-ils pu valider ce visuel ? ce slogan ? cette pub ? cette campagne ? » Au-delà des facteurs externes que nous commençons à cerner, une raison revient souvent: une mauvaise validation de la campagne par la marque. La CIA emploie un modèle de pensée et d’action qui pourrait servir aux communicants.

Voir les bad buzz venir, une science impossible ?

Le constat est simple: les équipes impliquées dans une campagne ne sont pas omniscientes et ne peuvent pas être au courant de l’intégralité des tendances, des signaux faibles, de l’historique des crises ou des activistes variés qui surveillent leurs faux-pas de marque. Les parties prenantes impliquées dans une campagne de communication sont nombreuses et, dans les agences, les équipes marketing et communication, personne ne souhaite avoir un rôle de censure qui bride la créativité et l’avancement du projet. Les pre-test (souvent effectués sur des panels d’habitués) ne sont pas faits pour cerner les aspects négatifs d’une campagne mais plutôt pour choisir les meilleurs éléments à présenter au grand public. Le résultat: H&M est accusé de racisme, Bud Light de perpétrer la culture du viol, Décathlon d’alimenter les xénophobes

Côté marques, il est toujours recommandé d’avoir une veille en place qui facilite la remontée de ses informations. Mais il est facile d’oublier toute cette veille et ces carnets de tendance de crise au moment de la validation de la campagne par les décideurs. Ce problème organisationnel dépasse le monde de la communication et plusieurs organisations, allant de la CIA à la Fédération d’Aviation civile Américaine (FAA) en passant par IBM se sont déjà penchées sur le sujet. Leur solution: la Red Team.

Historique des Red Teams : de Langley à Wall Street

Traditionnellement, les Red Teams existent dans le monde de la sûreté/sécurité. Les organisations devenues trop statiques et bureaucratiques (comme les armées ou services de renseignement) ne pensent plus comme des adversaires plus agiles et innovants. Comment tester sa sécurité si on se fixe des contraintes bureaucratiques, morales ou légales lors des tests ? Pour palier à ça, les Red Teams se mettent dans la peau d’adversaires agiles et sans limites. Par exemple, le Pentagon emploie des Red Teams sous formes de commandos envoyés pour infiltrer les bases militaires et capturer leurs sous-marins nu
cléaires. La CIA a une Red Team (qu’ils appellent Red Cell) qui pose des questions politiquement incorrects comme « Et si les étrangers voyaient les USA comme un exportateur de terrorisme? » (l’article a fuité sur Wikileaks) vouées à bouleverser les façons de penser des collègues et les amener à des recommandations. Comme l’évoque Bryce Hoffman dans un livre sur le sujet, les grandes entreprises emploient aussi des Red Teams pour tester leur cybersécurité ou sécurité physique de leurs bureaux. Pour atteindre leurs objectifs, les Red Teams peuvent alors pirater les mails, mentir au téléphone, voler des badges, entrer par effraction dans plusieurs locaux, suivre les employés, se faire passer pour le CEO etc. afin de tester les process mis en place pour lutter contre le vol, l’espionnage, l’effraction. Les rapports des Red Team servent à connaitre ses propres angles morts et mieux penser ses décisions. Les recommandations de la Red Team de la CIA remontent parfois même jusqu’à la Maison Blanche.

 

Simuler des crises pour vraiment tester ses campagnes marketing

Plutôt que vivre une crise réelle et découvrir ses défaillances de communication une fois la campagne lancée… il est judicieux de les créer et les affronter soi-même dans un contexte maîtrisé et sans risque. Une Red Team permet d’affronter ses problèmes potentiels sans aller jusqu’à un exercice « grandeur nature » de crise simulée, beaucoup plus chronophage et coûteux.

Au sein des départements impliqués dans la création d’une campagne, avoir deux ou trois personnes qui cherchent les failles dans une campagne pendant une demi-journée promet d’économiser des jours de gestion de crise. Cette équipe « Red Team Marketing » travaille avec les éléments finalisés de la campagne. Son but est d’identifier les failles critiques d’une campagne en jouant le rôle des « adversaires » de la marque. En incarnant les « adversaires » potentiels, la Red Team prend leur point de vue et peut employer leurs méthodes de déstabilisation pour créer des bad buzz.

La Red Team livre un rapport final avec ses recommandations d’axes de correction. C’est pour ce dernier point que nous recommandons que l’équipe ait un minimum d’expérience en marketing, communication ou digital. Afin de réaliser son travail, la Red Team Marketing devra faire usage de quelques outils déjà présents (ou à portée de main) dans l’organisation et de process uniques aux Red Team que nous retrouvons au Pentagon ou à la CIA.

 

Les 4 outils de la Red Team Marketing

  1. Veille de vos sujets sensibles : une veille hebdomadaire ou mensuelle qui prend le pouls du web au sujet de votre marque. Cette veille s’appuie naturellement sur vos outils de social listening.
  2. Carnets de tendances digitales du secteur : Peut-être que votre marque n’est pas encore ciblée mais vos concurrents ou prestataires sont peut-être attaqués sur des sujets pertinents à prendre en compte.
  3. Historique des bad buzz de la marque et du secteur : Connaitre les cinq ou dix dernières années de crises et bad buzz ayant marqués votre marque et secteur. Est-ce des attaques sur la composition produit ? campagne accusée de racisme ou sexisme ? critiques de parties politiques ou d’activistes ? rappel produit mal géré ?
  4. Panels des communautés activistes qui sévissent sur le web : Plusieurs communautés sont à l’affût des dérapages ou erreurs de communication des marques (écologistes, féministes, politiques etc.). Surveiller les sujets qui les animent permet d’adopter leur point de vue plus facilement et anticiper les réactions ou attaques.

Questions que la Red Team Marketing peut se poser

  • Quelle est la pire interprétation de cette campagne possible ?
  • Que penseraient les différentes communautés activistes de cette campagne ?
  • Quelles sont les interprétations multi-culturelles de ma campagne? internationales ?
  • Est-ce que ma communication va se télescoper avec un fait d’actualité contradictoire ?

Règles d’attaques pour la Red Team Marketing

  • Constituer une équipe la plus diverse possible, côté marque et agence. Idéalement constituer l’équipe de personnes n’ayant pas été impliquées dans la création de la campagne. Leur regard sera plus neuf et pas biaisé par des arbitrages budgétaires ou une ambiance de tournage/shooting photo.
  • Se mettre dans la peau des différents activistes ayant historiquement attaqué votre marque ou votre industrie.
  • Ne pas attaquer l’objectif marketing/com mais plutôt imaginer les attaques qui déstabiliseraient la marque et engendreraient une crise.
  • Une fois les failles identifiées être constructifs dans les critiques et apporter les débuts de solutions. Aider les équipes à améliorer leur campagne.
  • Archiver les pistes d’attaques, elles resserviront la prochaine fois.

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Valider ses campagnes en plus grande confiance

Au terme du travail de Red Team, la campagne est soit validée, soit modifiée ou bien bloquée. Dans tous les cas le travail aura permis de préparer et d’identifier les faiblesses potentielles de la campagne. Le département communication peut rédiger les premiers éléments de réponses, adaptés aux sujets d’attaques potentielles identifiées. Cette anticipation permet une plus grande réactivité en cas de départ de bad buzz et augmente les chances de désamorcer une crise à un stade embryonnaire.

Un outil qui sert aussi le team building

Pour finir, les Red Teams apportent souvent un bénéfice additionnel à l’entreprise. Les employés sont souvent heureux de sortir de la routine et entamer une réflexion antagoniste sur le travail de leur entreprise. C’est une mission qu’ils acceptent facilement: le rôle inhabituel de déconstructeurs, d’adversaires avec le permis de tuer… une campagne. Bien encadré ce travail fera remonter les voix négatives qui n’osent pas s’exprimer, notamment les stagiaires qui ont pu voir venir une faille sans la dénoncer. En assemblant des employés de différents départements autour d’un sujet important mais aux contours divertissants vous obtenez un outil de team building et un moyen d’avoir des employés plus engagés et solidaires avec les campagnes que vos marques produisent.

Il n’y a pas de remède miracle mais la réflexion autour des Red Teams Marketing est une approche qui à la mérite d’adresser frontalement le problème des validations de campagnes à risque.  Pour aller plus loin vous pouvez télécharger un manuel ci-dessous qui servira à votre Red Team Marketing, elle contient les éléments présentés dans cet article ainsi que des exemples d’outils et les instructions pour se créer les bonnes conditions pour vos gestions de crise.

Clickez-ici pour télécharger notre livre blanc sur la mise en place d’une Red Team dans votre équipe Marketing.

Clément Brygier